jeudi 13 novembre 2014

L'économie au prisme du religieux


Religion et économie... Associer ces deux termes ouvre des champs d'interrogation très divers. D'abord celui des influences; celle de la religion sur l'économie, ou inversement celle de l'économie sur la religion. Le premier cas est illustré par le célèbre travail pionnier de Max Weber sur les rapports entre protestantisme et capitalisme ; le second est un thème à la mode et prend parfois le tour de cette question : les poussées religieuses ont-elles à voir avec la mondialisation des échanges ? Il y a aussi l'économie des religions dont l'argent des Eglises n'est qu'un volet. Il y a encore l'économie elle-même comme religion, et ses antidotes éthiques... souvent nourries de religion.
Ce kaléidoscope est celui que Lionel Obadia prend un malin plaisir à secouer pour en exhiber les multiples facettes et jeux de miroir. Pascal, Marx, Weber, Smith, Bourdieu... tous ceux qui ont pensé l'économie à l'aune de la religion, ou l'inverse, sont ici convoqués. Les classiques, comme les contemporains. La Marchandisation de Dieu est ainsi un ouvrage panoramique : hissé sur un promontoire, l'auteur observe en professeur d'anthropologie la place de chacun et les déplacements d'un territoire à l'autre. Embrassant large sans s'attarder dans l'étreinte.
Aux confins du monde scientifique connu
Approfondir n'est pas le but — le but est de dresser la carte des approches méthodologiques, sans doute pour inspirer de prochaines recherches. Celle d'Obadia avance jusqu'aux confins du monde scientifique connu, jusqu'aux frontières floues religion/magie ou religion/bien-être.

Un même souci pratique marque L'Economie selon la Bible, mais sur un mode plus engagé. Richard Sitbon est économiste au ministère du Trésor israélien. Son ambition est double et grande : montrer l'apport de la Torahet du Talmud à l'économie et ouvrir, à partir de ces textes, des perspectives alternatives à la crise. Le livre se présente comme une succession de fiches consacrées à des thèmes ou à des auteurs, assorties d'encadrés résumant les points essentiels.
Celles consacrées à « Concurrence et judaïsme »expliquent par exemple que le Talmudne rejette pas la concurrence. Mais il énonce que celle-ci atteint son point optimum, non lorsque l'une des parties retire un profit maximum, mais seulement lorsque le profit est à la fois maximum et sans conflit. C'est-à-dire lorsqu'est observé le précepte de justice de la Tsekada.
Valeur versus prix


L'analyse conduite par l'économiste tchèque Tomas Sedlacek se veut aussi largement ouverte que le coup d'œil d'Obadia et plonge loin dans le passé comme Sitbon - jusqu'à Gilgamesh en l'occurrence. Celui qui fut conseiller, à 24 ans, du feu président Vaclav Havel (lequel a signé la préface) revendique ici une "déconstruction de l'économie à travers une reconstruction historique". L'auteur ne craint pas de se confronter à des problèmes fondamentaux souvent cités comme insolubles. Tel celui qui est, à ses yeux, le principal en économie: l'antagonisme entre ce qui a à la fois une valeur et un prix, et ce qui a de la valeur mais pas de prix ; exemple, le panneau publicitaire qui gâche un magnifique paysage. Si L'Economie du bien et du mal a été un best-seller dans son pays d'origine et en Allemagne, c'est en partie parce que le jeune prodige tchèque sait habilement émailler ses analyses d'images parlantes. Mais aussi, parce qu'il se déplace sur une ligne de crête entre les acquis de la science économique traditionnelle et ses franges vers lesquelles la persistance de la crise incite à lorgner.


* Lionel Obadia, La Marchandisation de Dieu. L'Economie religieuse, CNRS éditions, 2013, 251 p, 20 €.
* Richard Sitbon, L'Economie selon la Bible. Vers un modèle de développement, Eyrolles, 2013, 237 p, 14€.
* Thomas Sedlacek, L'Economie du bien et du mal, Eyrolles, 2013, 381 p, 25 €.

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