Le judaïsme, avec l'exil, a développé deux
caractéristiques inhérentes à celui-ci et contradictoires à la fois :
l’exil tribal, armé de son héritage antique et son familialisme, sur lequel va se greffer, au fil du temps, une
ambition de modernité et d’externalité grâce à laquelle l’homme devient
individu particulier et isolé, poursuivant l'intérêt de la société dans
laquelle il vit.
Ce communautarisme intégré, inventé par le peuple
juif en exil doit être un exemple pour les peuples.
D'ailleurs, la modernité de ce nouveau monde qui
se met en place, avec la fin des frontières, repose sur la recherche du savoir,
d'ouverture, d'individualisme mais demande aussi, pour exister,
la création à travers les nations
d'un communautarisme quasi tribal basé sur un historique moral que l'on appelle
couramment judéo-chrétien en Europe. Le "brexit",
est un exemple, qui marque cette contradiction entre la nation
"tribal" avec son identité propre, et l'Europe est une volonté
d'unité et "d'uniformisation".
Ainsi, pour Heinrich Heine, dans son livre,
De l’Allemagne, la voie tribale fait
partie de la modernité au même titre que la voie protestante décrite par Weber.
Mieux, pour lui, « un protestant écossais
n’était pas seulement un juif qui mangeait du porc, il était à sa façon, un
juif solitaire, un juif sans peuple élu, car lui seul était élu ».
Autrement dit, pour Heine, la modernité est inséparable du « communautarisme
tribal de la fratrie hébraïque (…) tant qu’elle sacralise la famille
nucléaire, que parce qu’elle fait de chaque nation un peuple élu »[1]. Avec le
capitalisme, les sociétés se transforment, adoptant de
nouvelles règles, lois et contraintes sociales. L’ethos juif, préparé depuis
des années, intègre parfaitement ces nouvelles sociétés.
La liberté retrouvée
L’une des causes de la
pauvreté réside dans l'impossibilité de sortir d'une organisation sociale qui "endémise" le statut des
classes sociales pour les transformer en castes sociales. Le projet "des
tribus"– comme type de société de la bible – doit être appréhendé dans un
sens large. Il a pour but de briser ce système de castes pour redéployer, grâce
à la liberté, une meilleure égalité des chances et retrouver, avec l'abolition
des causes de la pauvreté, une volonté régénérée de créer et d'innover. Paradoxalement
ce système d'aide au sein de la tribu est une source du retour à l'égalité pour
tous, le peuple alors pourra se retrouver réuni.
Pour être créatif et utile à la société, l'homme social doit se trouver
autour d’une communauté qui sera prête à lui venir en aide et lui être
solidaire.
Le système social de la bible est caractérisé par la reconnaissance des
groupes. Système au combien actuel…
Après la prise de possession de son territoire national, la première
préoccupation de la société fut de répartir les habitants en tribu :
Nous pouvons citer le texte
suivant : Nombres,
2,1
Et Dieu dit à Moshé : chacun selon son drapeau selon la maison de son
père.
Conscientes des défauts d'une analyse liée à des
comportements individuels orphelins, les théories économiques tentent
aujourd'hui de développer d'autres outils d’études en intégrant une dimension
collective à leurs analyses avec, par exemple, la théorie des groupes. La Bible
lance un appel au retour à une vision plus pragmatique de l'économie en
reconnaissant l'analyse des groupes, et en nous faisant comprendre qu'il existe
une logique économique externe à la logique du marché, dont les aboutissants ne
sont pas forcément marchands.
Pour la Torah, les acteurs économiques répartis
en tribus ne sont plus des acteurs isolés, mais des groupes organisés qui
réagissent en fonction des intérêts de leur corporation. Les tentatives de
construire des modèles mathématiques basés uniquement sur des comportements
individuels indépendants ne peuvent, pour la Bible, refléter une réalité humaine.
Plus ambitieuse, plus complexe aussi, la réalité du solidarisme talmudique
intègre une perspective holiste : le corps et l'âme, le réel et le rêve,
le particulier et l'universel, l'individualisme et le groupe, autant de notions
qui interfèrent dans les choix et les décisions de l'être.
Le terme de shevet
ou de matteh est utilisé en
hébreu pour désigner « la tribu ». Shevet est tiré du terme « assis », qui donne son assise
à la société. Matteh est un terme qui
signifie « bâton », sur lequel toute la communauté entière peut
s'appuyer. La société du solidarisme talmudique est une association de tribus à
la fois solidaires de la société générale, mais uniques puisqu’ayant chacune
son drapeau, ses rôles et missions.
Le solidarisme talmudique
établit alors le système social par une configuration de cercles concentriques :
-les individus sont protégés par des lois
qui leur garantissent un niveau de vie minimale et de par ses lois, ils sont
frères et égalitaires en dignité. Ainsi, le premier cercle est créé, le
deuxième, lui s'étend à la
société conjugale,
puis le troisième à la tribu qui regroupe les hommes sur
des éléments leur ressemblant et qui ne sont pas forcément d’ordre
professionnel : leur lieu de vie, leurs intérêts, par des éléments les
regroupant. Un autre cercle,
national, relie les tribus entre elles à travers des lois communes comme celles du Shabbat, de
la Shemita ou du Yovel. Enfin un
dernier cercle, mondialisme universel du solidarisme, unit les hommes à travers
des lois communes. En
englobant à travers des cercles des éléments dissemblables, la fraternité est
établie dans la différence.
La France peuple élu de
l'Europe ?de Richard Sitbon
Edition l'harmattan/
questionner l'Europe