lundi 15 janvier 2018

Les deux bases de la société : le sacré et la laïcité.

Les deux bases de la société : le sacré et la laïcité.
 
Jean Jacques Rousseau dans la société qu'il nomme république, nous dit qu'il existe un contrat par lequel "un peuple est un peuple". Où chacun de ses membres s'engage, promet d'accepter des valeurs sociales universelles qui se retrouvent dans un acte double : la défense de la liberté et la prise de responsabilité. La Liberté, l'Egalite, la Fraternité, sont trois mots qui sont, non pas seulement le fondement de cette république française, mais le fondement de toute société qui se voudrait humaine. Et si le mot laïcité n'est pas explicitement prononcé dans son écrit, le contrat social reste l'un des rares textes de l'humanité qui fonde l'idée d'une société de liberté, où s'inscrit d'abord la tolérance. Et il ne faut pas être surpris qu'il existe avec la bible un deuxième texte, même si souvent tronqué voire trompé, qui lui aussi met en avant les libertés.
 
Rabbi yshmael a dit : Le dereh eretz (la sociabilité) a devancé de vingt-six générations la torah. Il est écrit : il faut garder la "sociabilité" pour garder la torah.
Midrach raba.
Ou encore
Rabi Eliezer ben Azaria nous dit : s'il n'y a pas de torah il n'y a pas de dereh eretz (sociabilité), s'il n'y a pas de sociabilité il n'y a pas de torah.
Dans ces textes, ce qui est mis en évidence, et qui peut aujourd'hui nous paraitre étonnant, est ce constat : il n'y a pas de religion sans laïcité.
La laïcité c’est-à-dire l'ouverture sur les idées, est la condition non seulement de la pensée religieuse, mais c'est cette laïcité qui va permettre aussi le maintien de la religion dans sa logique de droit et de justice. La laïcité est cette sociabilité dont nous parlent les textes du judaïsme. Rousseau, visionnaire de la pensée sociale, nous offre d'ailleurs un écrit peu étudié et lu : le "lévite d'Ephraïm".
 Dans son commentaire sur ce livre que l'on trouve dans "constitution juridique et violence sociale[1]" : Raphael Drai écrit : "Rousseau a trouvé le sujet de son récit dans la bible, précisément dans les derniers chapitres du livre des juges, qui relate l'histoire…d'un lévite dont la concubine est violée en territoire de benjamin"
Ce lévite, selon la suite du récit biblique coupera le corps de la femme morte en 12 morceaux, qu'il enverra alors aux douze tribus…
Le sujet de Rousseau, d'une extrême violence n'est pas pris au hasard. En effet nous sommes dans un état hébreu où la bible vient d'être donnée. Où les douze tribus sont les contemporains des miracles de Dieu, lors de la sortie d'Egypte et pendant la traversée du désert. Et pourtant l'histoire nous décrit un environnement de violence, sans humanité, sanglant. Et Raphael Drai d'écrire encore :" L'existence d'une constitution est ce qui permet à une société de réguler ses échanges internes mais surtout, de préserver sa cohérence organique au sens physique, son intégrité corporelle au sens premier, charnel". Raphael Drai se situe dans le cadre du droit. Mais au-delà c'est l'absence de laïcité au sens "du respect de tous" qui dans la société décrite dans les juges a été perdue. La laïcité est la garantie de toutes les ouvertures et de toutes les questions. Mieux, elle est le permis de la religion, des reformes, des nouvelles idées, tant que celles-ci se nourrissent de cette base commune.
D'ailleurs le livre des juges dans le chapitre dix-neuf, commence bien par la laïcité : "et il advint, hélas, en ces jours-là, et de roi, point en Israël". C'est cet oubli de la condition primaire, "la sociabilité", qui fait défaut, et cette carence conduit toute la société à sa perte. "Le contrat social" de Rousseau est le squelette de la laïcité, où chaque volonté, chaque différence et chaque religion ou opinion peuvent s'accorder pour un vivre ensemble.
Ce contrat social français est ce défi que la France a délaissé depuis des années, pour imiter un système ou adopter des idées et attitudes qui peuvent être perçues comme une certaine servilité, en tout cas, sûrement comme une abdication. Abraham, prophète, philosophe, révolutionnaire aussi, éveilleur de conscience, ne s'est jamais désisté, pour trouver son Dieu, allant jusqu’à affronter son père Terah. 
Mais une défense de la laïcité comme garant du pluralisme n'est pas suffisante. Il faut utiliser cette force, pour garder l'esprit du questionnement, pour ne pas rester figé dans des conceptions, dans une pensée, mais être poussé vers la création et l'engendrement.
Sans cette impulsion, la société devient incapable de voir et de comprendre les altérations de la collectivité. Le "surplace" se transforme très vite en faiblesse et en régression. Comme dans l'histoire de la bible et celle du roman de Rousseau apparaissent alors des "sans-droits[2]", des hommes sans attaches, ne reconnaissant aucune identité commune. Ces "sans droits" vont alors comme un miroir, contraindre la société à regarder ses contradictions. L'histoire, tirée des juges et le roman de Rousseau, place la société en face d'elle-même.
Le choix facile de la bonne conscience, dans un comportement d'accommodements et de compromis pour garder une vitrine illusoire, explose finalement en poussière. Dans le récit, ce n'est plus la loi et la vie sociale qui sont respectées, mais la priorité de sauvegarder une image. Dans le récit, c'est en effet pour préserver la règle de l'hospitalité, que les protagonistes de l'histoire cèdent aux "sans droits", en leur donnant pour les assouvir, une concubine, qui est violée et tuée. L'apparence sociale devenant alors une priorité, au mépris de la liberté de la fraternité et des idées de justice.
Finalement, cette renonciation aux vraies valeurs et l'abandon du courage, que demande la confrontation, conduisent au chaos et à la guerre.
Les deux éléments unis du profane et du sacré garantissent la soudure sociale, la paix, et la solidarité, à l'instar de ce que nos rappelait un des grands rabbins du judaïsme, le Rav Kook[3], "souvent dans les sentiers de la vie, le profane s'éveille le premier, puis le sacré apparait pour achever le renouvellement du profane, pour l'embellir."[4]
 
 
 


[1] In les usages sociaux du droit, Paris, PUF, 1989, pages 169-186
[2] Littéralement dans le texte des juges chapitre 19 versets 22 : Bnei Beliyaal
[3] Premier Grand Rabbin ashkénaze en Israël
[4] Maamari ha reiya,p. 403-404

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