la crise est devant nous: apres il faudra reconstruire le monde financier: la proposition sera de separer les moyens de productions qui seront pour les entreprises vitales distribues au peuple , de la gestion qui sera donné par appel d'offre pour cinquant ans......
La loi du Yovel décrite par le
Talmud est un moratoire que se fixe la société tous les cinquante ans et qui
ramène le rythme de l'activité économique à l'échelle humaine. La société affirme
alors un objectif de justice pour l'instauration de la fraternité entre ses
membres, qui accompagne le projet économique de puissance et d'augmentation du
profit. Ces deux objectifs doivent être intimement liés. Cette volonté de
justice et ce besoin de profit peuvent paraître contradictoires et c’est pour
cela que la Torah avance l'idée de moratoire. Au choix de liberté ou de
justice, le Talmud donne justement cet espoir de liberté et de justice. Face au
capitalisme qui nous propose une liberté complète des mécanismes économiques
sans intervention de l'état, au socialisme qui prône un interventionnisme
institutionnel, le Talmud va construire ce solidarisme inexploré : une
économie libérale qui, tous les cinquante ans, va se tourner vers elle-même
pour faire le point. Comme Élie Munk l’exprime dans La Justice sociale en Israël :
Aussi longtemps que les
rivalités économiques et les inégalités sociales opposeront les intérêts
individuels les uns aux autres, la politique du laisser-faire ne saurait être
mise au service du bien commun.
Le texte du Talmud ordonne un temps d'arrêt dans
le cycle économique et social. Si pendant quarante-neuf ans, la société est perçue
comme un marché à conquérir, la cinquantième année, elle redevient une
communauté de personnes, certaines perdantes, d'autres gagnantes, dans laquelle
des déséquilibres se sont créés et des injustices sont à réparer. Au temps du
Yovel, l'homme
n'est plus mesuré selon son utilité pour les autres, ni selon l'efficacité de
son travail, mais selon son niveau moral. C'est un retour sur soi qui est
proposé à la société toute entière, un moment de remise en cause, l'occasion de
dresser un bilan. En effet pour le Talmud, la société est un ensemble de
solidarités qui se croisent, le riche devant être redevable au plus modeste,
dont le labeur contribue à son bien-être. Cette vue est clairement exposée par
les rabbins de la célèbre maison d'étude de Yavné :
Je suis une créature de Dieu et mon voisin l'est
également ; mon travail se fait en ville et le sien dans les champs ;
je me lève de bonne heure pour travailler et lui aussi ; s’il ne peut pas
exceller dans ma tâche, je ne le peux pas davantage dans la sienne.
L'économie a toujours été confrontée à
l'antagonisme de l'esprit idéaliste et de l'esprit matérialiste. L'esprit
matérialiste a conduit aux idéaux de croissance, en laissant de côté l'esprit
idéaliste qui prône de respecter la justice, l'environnement ou toute autre
réflexion de développement durable. Depuis la fin des années 1990, la
littérature économique recherche la stratégie qui allierait économie,
croissance et développement durable : citons Brown Lester R
(Eco-économie), Jean-Marie Harribey (Economica) ou encore
Serge Latouche et sa réflexion qui nous invite à déconstruire l’imaginaire
économique,. La
demande d'un changement profond et d'une nouvelle réflexion sur la croissance
et ses buts,
a ouvert le débat sur la légitimité de celle-ci comme fondement de l'économie
politique. Le débat sur l'exigence d'un développement durable s'articule en
particulier sur trois points :
• l'exigence d'un développement respectueux des
milieux naturels ;,
• la volonté d'un changement dans les relations
économiques et la promotion d'un commerce équitable ;
• et enfin, une réflexion concernant la
croissance ou même la décroissance soutenable des pays industrialisés.
À ces interrogations, la loi du Yovel apporte,
avec le solidarisme talmudique, une réponse originale sans pour autant prôner
la décroissance. L'économie durable, tout
d'abord, a été de tout temps une préoccupation talmudique.
Le Yovel répond aux exigences du développement
durable. Au-delà du respect que porte le Talmud à l'environnement, il nous propose
non pas une économie de décroissance mais de restructuration, un ajustement
structurel, après des années de liberté économique. Cette intervention
extérieure aux forces du marché va déconstruire le libéralisme économique et
changer ses structures pour rééquilibrer les injustices, lutter contre la
pauvreté et rétablir la coopération entre les membres de la société.
Ce principe d'arrêt tous les cinquante ans n'est
pas là pour définir l'intérêt général de la société. Au débat de l'intérêt
général, vu pour certains comme la somme des intérêts particuliers ou pour
d'autres comme le plus petit dénominateur commun entre les intérêts divergents des
membres de la société, la Torah substitue une notion nouvelle : le niveau
de l'humanité. Il fixe une organisation de la vie économique, qui délimite dans
un cadre d'économie libérale, des normes minimales d'humanité. Cet arrêt est un
véritable examen de passage pour la communauté, c'est un indicateur social de
réussite ou d'échec. Il a un coût pour la société dans son ensemble puisque
nonobstant la redistribution des richesses, la société doit dans son ensemble
faire face à une remise à zéro des dettes. Contrairement à ce que l'on pourrait
penser, ce système va réconcilier capitalisme et Tsedaka, puisque la société devra
prendre en compte, comme une donnée exogène au système, le coût d'un trop grand
déséquilibre qui devra être réajusté après les années accordées de liberté
totale.
Dans le cadre de cette année du Jubilé, en dehors
de l'annulation des dettes, deux autres exigences sont aussi prises en compte.
La première s'attache à l'idée de la redistribution des terres, qui doivent
être comprise dans un terme beaucoup plus large de redistribution des
ressources et des fortunes.
Cette redistribution de la propriété refonde de
façon profonde les relations économiques entre les agents. Quant à la seconde,
elle est la liberté redonnée aux esclaves, qui doit ici aussi être appréhendée
dans le sens plus large du retour de l'homme à la liberté.
À retenir
*Le Yovel est un moratoire que se fixe la société
tous les cinquante ans.
* Si pendant quarante-neuf ans, la société est
perçue comme un marché à conquérir, la cinquantième année, elle redevient une
communauté de personnes, certaines perdantes, d'autres gagnantes, dans laquelle
des déséquilibres se sont créés et des injustices sont à réparer.
*La cinquantième année, répond à trois
exigences : l’annulation des dettes, la redistribution des ressources et
le retour de l’homme à la liberté.
Pour Élie Munk, l'idée de
redistribution des ressources que préconise le solidarisme talmudique, est un
système d'économie qui « ignore le
procédé socialiste des nationalisations ». La
pensée économique juive respecte la propriété privée et ne peut être comparée
aux méthodes de gestion des états communistes. Mais si le procédé des
anti-nationalisations est ignoré, c'est parce que le système juif partage les
moyens de production entre tous les membres de la collectivité. Comme le
souligne Munk :
Chaque membre de la collectivité reçoit sa part de moyen de productions,.
La redistribution proposée par
le solidarisme talmudique n'a pas de lien avec les solutions socialistes. Il ne
s’agit en aucun cas d’une socialisation des terres, puisque le terrain
agricole appartient à l'agriculteur propriétaire de son champ. La méthode
employée n'est pas non plus totalitaire, tout d’abord parce qu’en tant que
propriétaire, le paysan sera libre de vendre ou d'acheter des terres et d'y
cultiver ce que bon lui semble, mais aussi parce que la notion de
propriété proposée par la Torah n'est pas une propriété sur la terre elle-même,
mais sur la production.
Le paysan n'est pas
propriétaire du moyen de production, ici la terre, mais il est propriétaire
pour un temps plus ou moins long du produit de la terre. Ainsi, le judaïsme
offre une nouvelle conception de la propriété. Élie Munk en rappelle les
principaux points : dans le judaïsme, le point de départ du système
économique est le partage et la répartition de la terre, moyen de production (MDP),
entre tous ses habitants. Les habitants, possesseurs de la terre, n'ont
pas le droit de vendre leur droit à perpétuité, mais celui-ci leur revient
d'office après cinquante ans :
La liberté sera publiée dans
le pays pour tous les habitants, chacun retournera dans sa propriété et chacun
retournera dans sa famille.
Les conséquences de ces
principes sont les suivantes :
Une économie nationale qui se
déroule en circuits périodiques réglés tous les cinquante ans. Un appauvrissement
complet est rendu impossible et une concentration exagérée de grandes
propriétés ne l'est pas moins (…) Le type de modèle préconisé par ce
système est celui de la petite propriété .
Ici aussi, le modèle du
solidarisme talmudique se montre à la fois réaliste et original. Réaliste
tout d'abord puisque dans les économies modernes, les encouragements aux
développements des PME sont
souvent délaissés bien que celles-ci représentent dans la plupart des pays
presque 60% des emplois et plus de la moitié de la valeur ajoutée. Au
contraire, la crise financière de 2008 a montré les limites des grandes
entreprises et la nécessité d’une autorégulation du marché. Original ensuite puisque
la solution proposée par le solidarisme talmudique est la séparation des moyens
de productions
des entreprises vitales pour l’économie et de la gestion des moyens de
production
(GMDP).
Cette propriété des moyens de
production est une possession à perpétuité avec un droit de vendre cette
possession pour cinquante ans seulement. Dans le cadre du solidarisme
talmudique, les entreprises vitales devraient, dans la même optique, être
partagées entre les habitants, sous forme de bons ou d’obligations mères, bons moyens de production (BMDP),
dont la valeur baisserait avec le temps jusqu’à la cinquantième année. Leur
baisse serait également assujettie aux résultats des sociétés et ils
donneraient droit à une rémunération mensuelle.
Pour rendre réaliste ce
système de rémunérations, il faudrait que les sommes allouées remplacent les allocations
et autres versements donnés par l’État. Si les moyens de productions étaient
partagés entre les habitants, la gestion des entreprises vitales pour
l'économie pourrait rester entre des mains privées. Elle se ferait par appel d’offres
pour leur gestion sur une durée de cinquante années. Comme l'exprime Élie Munk, la
législation talmudique cherche à réaliser avant tout, selon une formule de Léon
Walras, l'égalité des conditions générales plutôt que celle des positions
personnelles :
En conséquence, d’après
l’auteur de La Justice sociale en Israël, ce ne sont pas tant les
inégalités elles-mêmes que les mesures tentent à supprimer, mais plutôt la
formation de classes opposées par l'extrême dénuement d'un côté et l'immense
richesse de l'autre qu'elles s'appliquent à empêcher.
Pour Theodore Herzl,
une telle gestion serait possible. Sans pousser le raisonnement dans toute sa
logique économique, il nous en décrit un début de mécanisme. L'auteur dépeint un
système dans lequel un organisme de presse appartiendrait entièrement au peuple
mais dont la gestion serait laissée à des délégués, dans un système mutualiste :
Je n'ai pas dit que la formule
de nos journaux fut la seule formule coopérative. Celle-ci a pris la place
seulement dans certaines entreprises (…) qui par l'abondance des capitaux, le
prix des installations techniques et la cherté des informations ont pris
nettement le caractère de grosses industries.
Mais à côté il existe,
poursuit l’auteur, « des journaux
plus petits ».
Ce partage périodique pousse
la liberté d'entreprendre à l'extrême puisque le propriétaire de l'exploitation
ou de gestion
des moyens de production devra tous les cinquante ans s'en séparer et n'aura
que ce temps accordé pour faire du profit. Il ne peut en aucun cas y avoir de
justice sociale et de liberté si les moyens de production restent répartis in æternam entre un groupe d'individus
sans possibilité de changements.
Afin de rétablir la justice
sociale et de rééquilibrer la disparité entre les riches et les pauvres, il convient
de retrouver l’équilibre originel. Cette redistribution est une véritable
remise à niveau de la société, avec possibilité d'annulation des ventes. Plus
largement, il s’agit d’une restitution de la richesse commune à la société dans
son ensemble. L’instauration de familles toutes puissantes n’est pas
envisageable car le solidarisme talmudique nous convie à la défense de la
liberté par un ajustement structurel. C'est enfin un projet de société où
l'espérance n'est jamais brisée. Ce système est le seul à s'attaquer à la
pauvreté, avec un moratoire sur les dettes, et à contribuer à la paix sociale. Fidèle
à l'idée originale d'Adam Smith ou la préoccupation de l'économie est aussi la
répartition des richesses, puisque selon ce classique, « l'économie analyse
les processus de création et de répartition de la richesse ».
Et comme nous l'avons écrit
dans Une réponse juive à
l'anarcho-capitalisme :
Si
l'économie pour certains n'a que faire des conséquences d'une répartition
inégale de la richesse pour n'étudier que la production (…) toutes choses
égales par ailleurs, l'objectif unique d'accroissement de la richesse comme
objectif collectif, sans regard sur la répartition de ces richesses, peut, à
terme, aboutir à l'éclatement de la stabilité et de l'équilibre économique.
Enfin, la solution proposée
par la Bible met un terme à la contradiction d'une présence sur les marchés de
très grandes entreprises publiques et privées, confrontées à un même
environnement concurrentiel, pour définir une nouvelle entreprise publique dans
ses moyens de productions, et privée dans sa production et sa gestion. Le but
de cette loi économique est social et vise à contribuer à la continuité de la
progression économique. Ainsi, la pensée et le système économique juifs ne sont
pas soumis au diktat de la loi de Pareto, dans laquelle une réponse est
donnée aux 20 % de la population.
S’inscrivant en porte-à-faux
de la pensée libérale, qui appréhende l'économie seulement en évaluation
monétaire, le solidarisme talmudique présente une approche universelle qui
tente d'englober tous les individus de la société.
À retenir
*La solution proposée
par le solidarisme talmudique est la séparation des moyens de production des
entreprises vitales pour l’économie et de la gestion des moyens de production.
*Pour rendre réaliste
ce système de rémunérations, les sommes allouées doivent remplacer les
allocations et autres versements attribués par l’État.
*Si les moyens de
production sont partagés entre les habitants, la gestion des entreprises vitales
pour l'économie peut rester entre des mains privées.