mercredi 9 novembre 2016

le choix de la France


Doit-on être étonné du vote de l’Unesco niant les liens historiques et spirituels du judaïsme et de Jérusalem ? Depuis longtemps L’Organisation des Nations unies ne prône plus, ni l’éducation, ni la culture. Nous restons par contre étonnés du vote de la France.   Etonnés, car pour le rabbi de Loubavitch, la France a son mystère : mystère étymologique, puisque "Tsarfat," France en hébreu, viendrait du terme "Ttsirouf", joindre.   Dans ce terme, elle doit se joindre au combat des hommes pour la justice, pour être en plénitude avec elle-même. Plénitude qui peut s’accomplir en accord avec le créateur et non contre lui. En incarnant, non pas la croyance au sens du judaïsme qui affirmerait la parole de Dieu en acte, "je veux vivre ce qu'il a dit", mais dans une transmission de l'idée : "Comme il veut que l'on vive je le dis". C'est dans un joug oratoire des idées, que se tiennent la France et sa mission.  En ce sens, la France peut être alors l'alliée du bien, de la justice, dans l'explication et l'affirmation de celle-ci, ou malheureusement se perdre dans un culte de l'image, qui semblerait refléter seulement un miroir de justice, dans une idolâtrie des idées pour l'idée, qui risquerait alors de conduire à une atrophie de la vérité et à l'illusion.

Dans ces prises de positions la France d'aujourd'hui reste encore dans une prétention pleine d’orgueil, de vouloir détourner la marche de l’histoire de la reconstruction d’Israël et de son retour sur sa terre. La France, souvent oublieuse de sa culture, trahit ses valeurs essentielles : les principes de Liberté, d'Egalité et de Fraternité.

Le 27 novembre 1967 Le général De Gaulle exprimait au monde une vérité : "Certains redoutaient même que les Juifs, jusqu’alors dispersés, mais qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tous temps, c’est-à-dire un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur, n’en viennent, une fois rassemblés dans le site de leur ancienne grandeur, à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis dix-neuf siècles".

Le peuple juif n'était plus seulement ce peuple d'élite qui avait tant éclairé le monde, de retour sur sa terre, il redevenait lui-même : un peuple de "prêtre –guerrier". Hélas, avec lui l'ensemble de l'humanité n'a pas su comprendre le nouveau rôle du peuple juif. Au lieu de nous accompagner dans le message de justice et de paix que le judaïsme transmet ils se sont détournés de la marche de l’histoire de cette reconstruction d’Israël et de son retour comme prêtre des nations, pour s'allier aux mensonges de nos ennemis du monde arabe. Fouler ce sol nous a redonné à nous Israéliens le droit d’élever la voix et de faire parler les armes. Malgré la France, Israël ne trahira pas son honneur national, et ne pliera jamais le genou. Nous sommes ceux qui rétablissent le rayonnement d’Israël, mais ce n’est pas tout, notre devoir est de faire triompher dans le monde l’idéal de justice. Non pas cette justice falsifiée que vos « deux états sur une terre » encourage. Nous n’avons que faire de vos opinions dictées sous la plume de vos stylos « mont-blanc ». Contre les démagogues, nous Israéliens, nous continuerons face aux horreurs des violences, face à cette impuissance humaine de pratiquer la justice, de tenter par nos efforts de renverser la direction du monde.  

Pourtant Il y a plus de trente ans, lors de la fête juive de Simha Torah, le rabbi de Loubavitch étonnait ses disciples, lorsqu'il entonna, sur l'air de la Marseillaise, un cantique traditionnel juif le "haaderet vehaemouna". Par cet hymne repris sur un thème juif, le rabbi appelait la France à suivre son chemin. Le sien propre, et non, celui plus facile des autres nations. Cet évènement, passé alors inaperçu, prend pourtant toute sa dimension aujourd'hui, alors que la France semble s’incliner aux modes du moment. Et pourtant, le peuple français a toujours su, dans les pires moments, trouver la force pour regagner son identité première : celle de la Révolution, de la Liberté, de L'égalité de la Fraternité. Force qui fit faire à la révolution française une première constitution en forme de Tables de la loi. Le chant entonné par le rabbi donne toute sa signification à cette adaptation des Tables de la loi, à l'idéologie révolutionnaire. Ce message, que voulait nous livrer le rabbi, est un message de force : La force d'une loi égale pour tous, opposée aux risques d'un retour à l'arbitraire de l'injustice. Les Tables de la révolution, comme celles de la Bible sont l'incarnation graphique de l'expression d'une garantie morale : si le peuple Juif se veut le garant d'une moralité, du message du Dieu unique, la France en parallèle, elle, doit être la garante d'une moralité laïque.

De Rousseau en 1772 à la révolution française de 1789, de la Constituante à Napoléon, la France, à n'en pas douter, est devenue dans sa mission un état à part dans les Nations. Comme Israël qui doit être le garant de la justice, la France doit aussi en être le gardien, en accompagnant dans sa mission le peuple Juif.

En ce sens les paroles de ce Simhat Torah prononcées par le rabbi sont historiques. Elles nous rappellent le rôle particulier de la société française : Aux devoirs moraux et religieux d'Israël, il existe un devoir politique et social, qu'il faut insuffler aux peuples. Il doit être le fait d'une nation laïque, qui, dans son soutien aux idées défendues par Israël, apporterait l'humanité perdue aux sociétés moderne, pour ouvrir une nouvelle époque : le temps de la solidarité.

La France peuple élu de l'Europe ?de Richard Sitbon

Edition l'harmattan/ questionner l'Europe

Préfaces de Henri Cukierman/ Daniel Gal



mardi 12 juillet 2016

Contre la violence, un nouvel ordre social.

Le judaïsme, avec l'exil, a développé deux caractéristiques inhérentes à celui-ci et contradictoires à la fois : l’exil tribal, armé de son héritage antique et son familialisme, sur lequel va se greffer, au fil du temps, une ambition de modernité et d’externalité grâce à laquelle l’homme devient individu particulier et isolé, poursuivant l'intérêt de la société dans laquelle il vit.
Ce communautarisme intégré, inventé par le peuple juif en exil doit être un exemple pour les peuples.
D'ailleurs, la modernité de ce nouveau monde qui se met en place, avec la fin des frontières, repose sur la recherche du savoir, d'ouverture, d'individualisme mais demande aussi, pour exister, la création à travers les nations d'un communautarisme quasi tribal basé sur un historique moral que l'on appelle couramment judéo-chrétien en Europe. Le "brexit", est un exemple, qui marque cette contradiction entre la nation "tribal" avec son identité propre, et l'Europe est une volonté d'unité et "d'uniformisation". 
Ainsi, pour Heinrich Heine, dans son livre, De l’Allemagne, la voie tribale fait partie de la modernité au même titre que la voie protestante décrite par Weber. Mieux, pour lui, « un protestant écossais n’était pas seulement un juif qui mangeait du porc, il était à sa façon, un juif solitaire, un juif sans peuple élu, car lui seul était élu ».
Autrement dit, pour Heine, la modernité est inséparable du « communautarisme tribal de la fratrie hébraïque (…) tant qu’elle sacralise la famille nucléaire, que parce qu’elle fait de chaque nation un peuple élu »[1]. Avec le capitalisme, les sociétés se transforment, adoptant de nouvelles règles, lois et contraintes sociales. L’ethos juif, préparé depuis des années, intègre parfaitement ces nouvelles sociétés.
La liberté retrouvée
 
L’une des causes de la pauvreté réside dans l'impossibilité de sortir d'une organisation sociale qui "endémise" le statut des classes sociales pour les transformer en castes sociales. Le projet "des tribus"– comme type de société de la bible – doit être appréhendé dans un sens large. Il a pour but de briser ce système de castes pour redéployer, grâce à la liberté, une meilleure égalité des chances et retrouver, avec l'abolition des causes de la pauvreté, une volonté régénérée de créer et d'innover. Paradoxalement ce système d'aide au sein de la tribu est une source du retour à l'égalité pour tous, le peuple alors pourra se retrouver réuni.
Pour être créatif et utile à la société, l'homme social doit se trouver autour d’une communauté qui sera prête à lui venir en aide et lui être solidaire.
Le système social de la bible est caractérisé par la reconnaissance des groupes. Système au combien actuel…
Après la prise de possession de son territoire national, la première préoccupation de la société fut de répartir les habitants en tribu :
 
Nous pouvons citer le texte suivant : Nombres, 2,1
Et Dieu dit à Moshé : chacun selon son drapeau selon la maison de son père.
 
Conscientes des défauts d'une analyse liée à des comportements individuels orphelins, les théories économiques tentent aujourd'hui de développer d'autres outils d’études en intégrant une dimension collective à leurs analyses avec, par exemple, la théorie des groupes. La Bible lance un appel au retour à une vision plus pragmatique de l'économie en reconnaissant l'analyse des groupes, et en nous faisant comprendre qu'il existe une logique économique externe à la logique du marché, dont les aboutissants ne sont pas forcément marchands.
 
Pour la Torah, les acteurs économiques répartis en tribus ne sont plus des acteurs isolés, mais des groupes organisés qui réagissent en fonction des intérêts de leur corporation. Les tentatives de construire des modèles mathématiques basés uniquement sur des comportements individuels indépendants ne peuvent, pour la Bible, refléter une réalité humaine. Plus ambitieuse, plus complexe aussi, la réalité du solidarisme talmudique intègre une perspective holiste : le corps et l'âme, le réel et le rêve, le particulier et l'universel, l'individualisme et le groupe, autant de notions qui interfèrent dans les choix et les décisions de l'être.
 
Le terme de shevet ou de matteh est utilisé en hébreu pour désigner « la tribu ». Shevet est tiré du terme « assis », qui donne son assise à la société. Matteh est un terme qui signifie « bâton », sur lequel toute la communauté entière peut s'appuyer. La société du solidarisme talmudique est une association de tribus à la fois solidaires de la société générale, mais uniques puisqu’ayant chacune son drapeau, ses rôles et missions.
Le solidarisme talmudique établit alors le système social par une configuration de cercles concentriques : -les individus sont protégés par des lois qui leur garantissent un niveau de vie minimale et de par ses lois, ils sont frères et égalitaires en dignité. Ainsi, le premier cercle est créé, le deuxième, lui s'étend à la société conjugale, puis le troisième à la tribu qui regroupe les hommes sur des éléments leur ressemblant et qui ne sont pas forcément d’ordre professionnel : leur lieu de vie, leurs intérêts, par des éléments les regroupant. Un autre cercle, national, relie les tribus entre elles à travers des lois communes comme celles du Shabbat, de la Shemita ou du Yovel. Enfin un dernier cercle, mondialisme universel du solidarisme, unit les hommes à travers des lois communes. En englobant à travers des cercles des éléments dissemblables, la fraternité est établie dans la différence.
 
La France peuple élu de l'Europe ?de Richard Sitbon
Edition l'harmattan/ questionner l'Europe


[1] Le siècle juif, Yuri Slezkine, Editions La Découverte, 2009.


mardi 12 avril 2016

La France peuple élu de l'Europe ?

Dans un discours de lucidité François Hollande, président de la République française nous disait : "Chaque nation a une âme. L’âme de la France, c’est l’égalité. C’est pour l’égalité que la France a fait sa révolution et a aboli les privilèges dans la nuit du 4 août 1789. C’est pour l’égalité que le peuple s’est soulevé en juin 1848. C’est pour l’égalité que la IIIe République a instauré l’école obligatoire et l’impôt citoyen sur le revenu. C’est pour l’égalité que le front populaire a œuvré en 1936. C’est pour l’égalité que le gouvernement du général de Gaulle a institué la sécurité sociale en 1945."
Il y a plus de trente ans, lors de la fête juive de Simha Torah, célébration du don de la Bible, le rabbi Menahem Mendel Shneerson, plus connu sous le nom du rabbi de Loubavitch  étonnait ses disciples, lorsqu'il entonna, sur l'air de la Marseillaise, un cantique traditionnel juif le "haaderet vehaemouna". Par cet hymne repris sur un thème juif, le rabbi ouvrait une énigme de plus. Un nouveau questionnement. Devant le groupe de juifs hassidiques qui dansaient pour célébrer la fête, il appelait la France à suivre son chemin. Le sien propre, et non, celui plus facile des Nations, qui comme l'Allemagne, la Grèce ou l'Italie avaient fini leur rôle dans l'histoire du monde. L'Allemagne marquée à jamais par le nazisme, la Grèce dont les Apollons ne sont plus que des statues de marbre disloquées, ou l'Italie dont la grandeur de Rome, comme la tour de pise, regarde depuis longtemps vers le sol. Cet évènement, passé alors inaperçu, prend pourtant toute sa dimension aujourd'hui, alors que la France semble s’incliner aux modes du moment.  Et pourtant, le peuple français a toujours su, dans les pires moments, trouver la force pour regagner son identité première : celle de la Révolution, de la Liberté, de L'égalité de la Fraternité. Force qui fit faire à la révolution française une première constitution en forme de Tables de la loi.
Le symbole des Tables de la Loi, de par son nom même, n'est pas assumé par hasard. D'aucuns d'entre nous expliqueront qu'il s'agissait d'une volonté révolutionnaire laïque de délester la religion de son emblème. Et pourtant, le chant entonné par le rabbi donne une tout autre signification à cette adaptation des Tables de la loi, à l'idéologie révolutionnaire. Ce message, que voulait nous livrer le rabbi, est un message de force : La force d'une loi égale pour tous, opposée aux risques d'un retour à l'arbitraire de l'injustice. Les Tables de la révolution, comme celles de la Bible sont l'incarnation graphique de l'expression d'une garantie morale : si le peuple Juif se veut le garant d'une moralité, du message du Dieu unique, la France en parallèle, elle, semble être la garante d'une moralité laïque.
Une idée de la France
Il existe trois aspects de la révélation du mont Sinaï qui concernent le monde et qui doivent préoccuper tous les hommes : - l'internationalisme des idées qui nous conduit à adopter un mode de pensée, - la moralité non pas religieuse mais laïque et - la reconnaissance des idées et de la mission d'Israël. De Rousseau en 1772 à la révolution française de 1789, de la Constituante à Napoléon, la France, à n'en pas douter, est devenue dans sa mission un état à part dans les Nations. Comme Israël qui doit être le garant de ces trois aspects, la France doit aussi en être le gardien, en accompagnant dans sa mission le peuple Juif.
En ce sens les paroles de ce Simhat Torah  de 5734 (1973) prononcées par le rabbi de Loubavitch sont historiques. Elles nous rappellent le rôle particulier de la société française : Aux devoirs moraux et religieux d'Israël, il existe un devoir politique et social, qu'il faut insuffler aux peuples dans leur lutte pour la vie. Il doit être le fait d'une nation laïque, qui, dans son soutien aux idées défendues par Israël, apporterait l'humanité perdue aux sociétés moderne, pour ouvrir une nouvelle époque qu'il faut inventer : le temps de la solidarité. Car pour le rabbi, la France a son mystère : mystère étymologique d’abord, puisque "Tsarfat," France en hébreu viendrait du terme "Ttsirouf", joindre. 
Dans ce terme, elle doit se joindre au combat des hommes pour la justice, pour être en plénitude avec elle-même. Plénitude qui peut s’accomplir tel Ésaü, en accord avec le créateur et non contre lui. "Tsirouf", car la France a une destinée ambiguë. Elle se veut l'incarnation, non pas de la croyance au sens du judaïsme qui affirmerait la parole de Dieu en acte, "je veux vivre ce qu'il a dit", mais dans une transmission de l'idée : "Comme il veut que l'on vive je le dis". C'est dans un joug oratoire des idées, que se tiennent la France et sa mission.
En ce sens, la France peut être alors l'alliée du bien, de la justice, dans l'explication et l'affirmation de celle-ci, ou malheureusement se perdre dans un culte de l'image, qui semblerait refléter seulement un miroir de justice, dans une idolâtrie des idées pour l'idée, qui risque alors de conduire à une atrophie de la vérité et à l'illusion.
La France peuple élu de l'Europe ?de Richard Sitbon
Edition l'harmattan/ questionner l'Europe
Préfaces de Henri Cukierman/ Daniel Gal
http://richard-sitbon.blogspot.co.il


lundi 25 janvier 2016

Le Yovel

la crise est devant nous: apres il faudra reconstruire le monde financier: la proposition sera de separer les moyens de productions qui seront pour les entreprises vitales distribues au peuple , de la gestion qui sera donné par appel d'offre pour cinquant ans......
 
La loi du Yovel décrite par le Talmud est un moratoire que se fixe la société tous les cinquante ans et qui ramène le rythme de l'activité économique à l'échelle humaine. La société affirme alors un objectif de justice pour l'instauration de la fraternité entre ses membres, qui accompagne le projet économique de puissance et d'augmentation du profit. Ces deux objectifs doivent être intimement liés. Cette volonté de justice et ce besoin de profit peuvent paraître contradictoires et c’est pour cela que la Torah avance l'idée de moratoire. Au choix de liberté ou de justice, le Talmud donne justement cet espoir de liberté et de justice. Face au capitalisme qui nous propose une liberté complète des mécanismes économiques sans intervention de l'état, au socialisme qui prône un interventionnisme institutionnel, le Talmud va construire ce solidarisme inexploré : une économie libérale qui, tous les cinquante ans, va se tourner vers elle-même pour faire le point. Comme Élie Munk l’exprime dans La Justice sociale en Israël[1] :
 
Aussi longtemps que les rivalités économiques et les inégalités sociales opposeront les intérêts individuels les uns aux autres, la politique du laisser-faire ne saurait être mise au service du bien commun.
 
Le texte du Talmud ordonne un temps d'arrêt dans le cycle économique et social. Si pendant quarante-neuf ans, la société est perçue comme un marché à conquérir, la cinquantième année, elle redevient une communauté de personnes, certaines perdantes, d'autres gagnantes, dans laquelle des déséquilibres se sont créés et des injustices sont à réparer. Au temps du Yovel[2], l'homme n'est plus mesuré selon son utilité pour les autres, ni selon l'efficacité de son travail, mais selon son niveau moral. C'est un retour sur soi qui est proposé à la société toute entière, un moment de remise en cause, l'occasion de dresser un bilan. En effet pour le Talmud, la société est un ensemble de solidarités qui se croisent, le riche devant être redevable au plus modeste, dont le labeur contribue à son bien-être. Cette vue est clairement exposée par les rabbins de la célèbre maison d'étude de Yavné :
 
Je suis une créature de Dieu et mon voisin l'est également ; mon travail se fait en ville et le sien dans les champs ; je me lève de bonne heure pour travailler et lui aussi ; s’il ne peut pas exceller dans ma tâche, je ne le peux pas davantage dans la sienne[3].
 
L'économie a toujours été confrontée à l'antagonisme de l'esprit idéaliste et de l'esprit matérialiste. L'esprit matérialiste a conduit aux idéaux de croissance, en laissant de côté l'esprit idéaliste qui prône de respecter la justice, l'environnement ou toute autre réflexion de développement durable. Depuis la fin des années 1990, la littérature économique recherche la stratégie qui allierait économie, croissance et développement durable : citons Brown Lester R (Eco-économie), Jean-Marie Harribey (Economica[4]) ou encore Serge Latouche et sa réflexion qui nous invite à déconstruire l’imaginaire économique[5],. La demande d'un changement profond et d'une nouvelle réflexion sur la croissance et ses buts, a ouvert le débat sur la légitimité de celle-ci comme fondement de l'économie politique. Le débat sur l'exigence d'un développement durable s'articule en particulier sur trois points :
• l'exigence d'un développement respectueux des milieux naturels ;,
• la volonté d'un changement dans les relations économiques et la promotion d'un commerce équitable ;
• et enfin, une réflexion concernant la croissance ou même la décroissance soutenable des pays industrialisés.
 
À ces interrogations, la loi du Yovel apporte, avec le solidarisme talmudique, une réponse originale sans pour autant prôner la décroissance. L'économie durable, tout d'abord, a été de tout temps une préoccupation talmudique.
 
Le Yovel répond aux exigences du développement durable. Au-delà du respect que porte le Talmud à l'environnement, il nous propose non pas une économie de décroissance mais de restructuration, un ajustement structurel, après des années de liberté économique. Cette intervention extérieure aux forces du marché va déconstruire le libéralisme économique et changer ses structures pour rééquilibrer les injustices, lutter contre la pauvreté et rétablir la coopération entre les membres de la société.
 
Ce principe d'arrêt tous les cinquante ans n'est pas là pour définir l'intérêt général de la société. Au débat de l'intérêt général, vu pour certains comme la somme des intérêts particuliers ou pour d'autres comme le plus petit dénominateur commun entre les intérêts divergents des membres de la société, la Torah substitue une notion nouvelle : le niveau de l'humanité. Il fixe une organisation de la vie économique, qui délimite dans un cadre d'économie libérale, des normes minimales d'humanité. Cet arrêt est un véritable examen de passage pour la communauté, c'est un indicateur social de réussite ou d'échec. Il a un coût pour la société dans son ensemble puisque nonobstant la redistribution des richesses, la société doit dans son ensemble faire face à une remise à zéro des dettes. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, ce système va réconcilier capitalisme et Tsedaka, puisque la société devra prendre en compte, comme une donnée exogène au système, le coût d'un trop grand déséquilibre qui devra être réajusté après les années accordées de liberté totale.
 
Dans le cadre de cette année du Jubilé, en dehors de l'annulation des dettes, deux autres exigences sont aussi prises en compte. La première s'attache à l'idée de la redistribution des terres, qui doivent être comprise dans un terme beaucoup plus large de redistribution des ressources et des fortunes.
 
Cette redistribution de la propriété refonde de façon profonde les relations économiques entre les agents. Quant à la seconde, elle est la liberté redonnée aux esclaves, qui doit ici aussi être appréhendée dans le sens plus large du retour de l'homme à la liberté.
 
À retenir
*Le Yovel est un moratoire que se fixe la société tous les cinquante ans.
* Si pendant quarante-neuf ans, la société est perçue comme un marché à conquérir, la cinquantième année, elle redevient une communauté de personnes, certaines perdantes, d'autres gagnantes, dans laquelle des déséquilibres se sont créés et des injustices sont à réparer.
*La cinquantième année, répond à trois exigences : l’annulation des dettes, la redistribution des ressources et le retour de l’homme à la liberté.
 
 
 
Pour Élie Munk, l'idée de redistribution des ressources que préconise le solidarisme talmudique, est un système d'économie qui « ignore le procédé socialiste des nationalisations » [6]. La pensée économique juive respecte la propriété privée et ne peut être comparée aux méthodes de gestion des états communistes. Mais si le procédé des anti-nationalisations est ignoré, c'est parce que le système juif partage les moyens de production entre tous les membres de la collectivité. Comme le souligne Munk :
 
 Chaque membre de la collectivité reçoit sa part de moyen de productions[7],.
 
La redistribution proposée par le solidarisme talmudique n'a pas de lien avec les solutions socialistes. Il ne s’agit en aucun cas d’une socialisation des terres, puisque le terrain agricole appartient à l'agriculteur propriétaire de son champ. La méthode employée n'est pas non plus totalitaire, tout d’abord parce qu’en tant que propriétaire, le paysan sera libre de vendre ou d'acheter des terres et d'y cultiver ce que bon lui semble, mais aussi parce que la notion de propriété proposée par la Torah n'est pas une propriété sur la terre elle-même, mais sur la production.
 
Le paysan n'est pas propriétaire du moyen de production, ici la terre, mais il est propriétaire pour un temps plus ou moins long du produit de la terre. Ainsi, le judaïsme offre une nouvelle conception de la propriété. Élie Munk en rappelle les principaux points : dans le judaïsme, le point de départ du système économique est le partage et la répartition de la terre, moyen de production (MDP), entre tous ses habitants. Les habitants, possesseurs de la terre[8], n'ont pas le droit de vendre leur droit à perpétuité, mais celui-ci leur revient d'office après cinquante ans[9] :
 
 La liberté sera publiée dans le pays pour tous les habitants, chacun retournera dans sa propriété et chacun retournera dans sa famille.
 
Les conséquences de ces principes sont les suivantes[10] :
 
Une économie nationale qui se déroule en circuits périodiques réglés tous les cinquante ans. Un appauvrissement complet est rendu impossible et une concentration exagérée de grandes propriétés ne l'est pas moins (…) Le type de modèle préconisé par ce système est celui de la petite propriété .
 
Ici aussi, le modèle du solidarisme talmudique se montre à la fois réaliste et original. Réaliste tout d'abord puisque dans les économies modernes, les encouragements aux développements des PME[11] sont souvent délaissés bien que celles-ci représentent dans la plupart des pays presque 60% des emplois et plus de la moitié de la valeur ajoutée. Au contraire, la crise financière de 2008 a montré les limites des grandes entreprises et la nécessité d’une autorégulation du marché. Original ensuite puisque la solution proposée par le solidarisme talmudique est la séparation des moyens de productions[12] des entreprises vitales pour l’économie et de la gestion des moyens de production (GMDP).
 
Cette propriété des moyens de production est une possession à perpétuité avec un droit de vendre cette possession pour cinquante ans seulement. Dans le cadre du solidarisme talmudique, les entreprises vitales devraient, dans la même optique, être partagées entre les habitants, sous forme de bons ou d’obligations mères, bons moyens de production (BMDP), dont la valeur baisserait avec le temps jusqu’à la cinquantième année. Leur baisse serait également assujettie aux résultats des sociétés et ils donneraient droit à une rémunération mensuelle.
 
Pour rendre réaliste ce système de rémunérations, il faudrait que les sommes allouées remplacent les allocations et autres versements donnés par l’État. Si les moyens de productions étaient partagés entre les habitants, la gestion des entreprises vitales pour l'économie pourrait rester entre des mains privées. Elle se ferait par appel d’offres pour leur gestion sur une durée de cinquante années. Comme l'exprime Élie Munk[13], la législation talmudique cherche à réaliser avant tout, selon une formule de Léon Walras, l'égalité des conditions générales plutôt que celle des positions personnelles :
 
En conséquence, d’après l’auteur de La Justice sociale en Israël, ce ne sont pas tant les inégalités elles-mêmes que les mesures tentent à supprimer, mais plutôt la formation de classes opposées par l'extrême dénuement d'un côté et l'immense richesse de l'autre qu'elles s'appliquent à empêcher.
 
Pour Theodore Herzl, une telle gestion serait possible. Sans pousser le raisonnement dans toute sa logique économique, il nous en décrit un début de mécanisme. L'auteur dépeint un système dans lequel un organisme de presse appartiendrait entièrement au peuple mais dont la gestion serait laissée à des délégués, dans un système mutualiste [14] :
 
Je n'ai pas dit que la formule de nos journaux fut la seule formule coopérative. Celle-ci a pris la place seulement dans certaines entreprises (…) qui par l'abondance des capitaux, le prix des installations techniques et la cherté des informations ont pris nettement le caractère de grosses industries.
 
Mais à côté il existe, poursuit l’auteur, « des journaux plus petits ».
 
Ce partage périodique pousse la liberté d'entreprendre à l'extrême puisque le propriétaire de l'exploitation ou de gestion des moyens de production devra tous les cinquante ans s'en séparer et n'aura que ce temps accordé pour faire du profit. Il ne peut en aucun cas y avoir de justice sociale et de liberté si les moyens de production restent répartis in æternam entre un groupe d'individus sans possibilité de changements.
 
Afin de rétablir la justice sociale et de rééquilibrer la disparité entre les riches et les pauvres, il convient de retrouver l’équilibre originel. Cette redistribution est une véritable remise à niveau de la société, avec possibilité d'annulation des ventes. Plus largement, il s’agit d’une restitution de la richesse commune à la société dans son ensemble. L’instauration de familles toutes puissantes n’est pas envisageable car le solidarisme talmudique nous convie à la défense de la liberté par un ajustement structurel. C'est enfin un projet de société où l'espérance n'est jamais brisée. Ce système est le seul à s'attaquer à la pauvreté, avec un moratoire sur les dettes, et à contribuer à la paix sociale. Fidèle à l'idée originale d'Adam Smith ou la préoccupation de l'économie est aussi la répartition des richesses, puisque selon ce classique, « l'économie analyse les processus de création et de répartition de la richesse ».
 
Et comme nous l'avons écrit dans Une réponse juive à l'anarcho-capitalisme[15] :
 
 Si l'économie pour certains n'a que faire des conséquences d'une répartition inégale de la richesse pour n'étudier que la production (…) toutes choses égales par ailleurs, l'objectif unique d'accroissement de la richesse comme objectif collectif, sans regard sur la répartition de ces richesses, peut, à terme, aboutir à l'éclatement de la stabilité et de l'équilibre économique.
 
Enfin, la solution proposée par la Bible met un terme à la contradiction d'une présence sur les marchés de très grandes entreprises publiques et privées, confrontées à un même environnement concurrentiel, pour définir une nouvelle entreprise publique dans ses moyens de productions, et privée dans sa production et sa gestion. Le but de cette loi économique est social et vise à contribuer à la continuité de la progression économique. Ainsi, la pensée et le système économique juifs ne sont pas soumis au diktat de la loi de Pareto[16], dans laquelle une réponse est donnée aux 20 % de la population.
 
S’inscrivant en porte-à-faux de la pensée libérale, qui appréhende l'économie seulement en évaluation monétaire, le solidarisme talmudique présente une approche universelle qui tente d'englober tous les individus de la société.
 
 
À retenir
*La solution proposée par le solidarisme talmudique est la séparation des moyens de production des entreprises vitales pour l’économie et de la gestion des moyens de production.
*Pour rendre réaliste ce système de rémunérations, les sommes allouées doivent remplacer les allocations et autres versements attribués par l’État.
*Si les moyens de production sont partagés entre les habitants, la gestion des entreprises vitales pour l'économie peut rester entre des mains privées.
 


[1] P. 154.
[2] Arrêt tous les cinquante ans.
[3] Berakhot 17 a.
[4] 1998.
[5]Survivre au développement, édition Mille et une nuits, Fayard.
[6] La Justice sociale en Israël, p. 209.
[7] P. 220.
[8] MDP.
[9] Lévitique, 25,10.
[10] P. 83.
[11] Petites et moyennes entreprises.
[12] MDP.
[13] P. 84.
[14] Retour a Altneuland, la traversée des utopies sionistes, 2004, Editions De l’Eclat, p. 195-196.
[15] Richard Sitbon, Editions l'Harmattan 2008.
[16] L’économiste et sociologue italien, Wilfredo Pareto (1848-1923) avait mis en évidence le fait que la répartition des revenus de la société n’était pas équitable. Ce principe prouve également qu’un faible nombre de facteurs permet d’expliquer la majeure partie des phénomènes.