lundi 3 octobre 2011

"Vision" de l'intérêt dans le judaïsme. Article écrit le 21 décembre 2009

L'intérêt comme notion économique est au centre de la préoccupation des penseurs et ne laisse personne indifférent : il touche aux considérations de justice sociale et d'inégalités et imprègne notre vision de la société.

Quelle que soit la définition ou le rôle donné à l'intérêt, tous les économistes s'entendent pour ne pas négliger l'influence de l'intérêt dans la vie économique. Comme toute théorie de vie, la Bible dans son regard sur l'économie se penche aussi largement sur la notion d'intérêt. Malheureusement, nous trouvons des travaux, des penseurs et économistes qui, sous prétexte de développer des réflexions sur l'intérêt, pensent qu'il est de bon ton de retracer rapidement dans le cadre de leurs études un historique de l'intérêt dans la pensée des religions. Ainsi nous trouvons dans le livre "Le système financier Islamique", page 33, un rapide aperçu de ce que serait l'intérêt dans une pensée talmudique. Sous un titre de chapitre, "Interdiction de l'intérêt dans l'histoire non musulmane", Imane Kariche, l'auteur écrit : "La première opposition à l'intérêt dans l'histoire remonte au culte juif. Se basant sur le texte du deutéronome 23, 19,20 : Tu n'exigeras de ton frère aucun intérêt ni pour argent, ni pour vivre, ni pour rien de ce qui se prête à intérêt. Et d'ajouter : "on ne trouve cependant aucune explication rationnelle et explicite de l'interdiction donnée par les textes. Enfin pour l'auteur, l'interdiction de l'intérêt ne serait applicable que pour les transactions entre juifs. Poussant encore plus avant, il poursuit : "Certains vont plus loin dans l'interprétation du deutéronome 23,20 : tu peux prendre un intérêt d'un étranger, ils traduisent le mot hébreu non par "tu peux" mais "tu dois" et considèrent donc cette pratique comme un acte charitable. Ainsi est réglée en une demi-page et avec des "connotations" intéressantes, la pensée talmudique et biblique de l'intérêt.

Nous trouvons dans d'autres textes cette interprétation problématique des textes hébreux, qui semblent interdire l'intérêt dans le culte juif et le permettre envers des non juifs. Ainsi à l'Institut international de la pensée Islamique, dans le système bancaire Islamique nous lisons cette affirmation : "Du côté des traditions monothéistes, la tradition juive condamne également très clairement cette pratique et ce ne fut qu'au retour de la captivité de Babylone que fut autorisé le prêt à intérêt pour les non juifs exclusivement". Affirmation d'autant plus difficile à accepter puisque soutenue par aucun texte biblique ou talmudique. De notre point de vue, nous avons essayé tout au long de ce travail de n'apporter d'affirmations que lorsque celles-ci étaient étayées par des sources bibliques ou de citations d'économistes classiques. A fortiori, lorsque nous abordons des sujets qui nous sont étrangers, comme nous l'avons fait pour le christianisme ou le protestantisme, nous nous sommes appuyés sur des auteurs non juifs et des textes du Nouveau testament. Nous croyons qu'il n'existe pas d'autres démarches dans l'affirmation ou la démonstration d'une pensée. La pensée talmudique, étant suffisamment profonde pour nous permettre de multiples et diverses interprétations qui peuvent même être parfois infidèles et trahir les propres convictions du judaïsme, nous devons nous efforcer avant chaque conclusion d'apporter à nos propos le plus d'arguments possibles. Ainsi conclure que l'intérêt est interdit pour les juifs mais permis envers les non juifs, c'est n'avoir pas saisi la place de la nation dans le judaïsme. L'élévation et la théorie de vie proposées par le Talmud ne peuvent se situer que dans un contexte national, d’où l'exclusion à priori des non juifs. Mais cette pensée talmudique se veut être un exemple de vie, qui peut aussi épouser des formes différentes et laisser place à des dépassements, à des élargissements pour d'autres nations et d'autres peuples. Cette pensée talmudique ne doit en aucune façon épouser la même forme au niveau national ou universel. L'exclusion, s'il en est, (nous montrerons par la suite que même cette affirmation est à prendre avec précaution), du non juif est la preuve la plus évidente de la tolérance de l'esprit talmudique vis-à-vis d'autres pensées et modes de vie, et ne se voudra universelle qu'au sens qu'elle est apte à devenir une base pour une pensée universelle.

Heureusement, nous trouvons aussi d'autres analyses plus sérieuses qui recherchent vraiment à comprendre la notion de l'intérêt dans le Talmud chez des auteurs qui font l'effort de saisir des textes parfois difficiles et contradictoires. Ainsi, Laurent Lheriau analyse l'intérêt dans le Talmud pour la revue TFD 91 de mars 2008 dans son article "La relation à l'argent dans le Judaïsme, le Christianisme et l'Islam dans le cadre de la lutte contre la pauvreté". Dés le début de son article, Monsieur Lheriau nous met en garde contre une lecture simpliste de l'ancien testament : "Il convient de le lire (l'Ancien testament) dans son contexte marqué par de fortes inégalités sociales et par les vicissitudes d'un peuple juif allant d'exode et d'exil en terre promise". Bien qu'ignorant le Talmud de Jérusalem ou de Babylone, l'auteur s'efforce d'énumérer presque tous les versets de l'ancien testament qui traitent de l'intérêt. Nous verrons que ses commentaires s'approchent de l'esprit du texte. Tout d'abord, l'auteur nous cite le verset du lévitique chapitre 25 versets 35 a 37, pour lever toute ambiguïté sur la différence que certains mettent en exergue concernant l'interdiction de l'intérêt entre juifs mais permis envers les non juifs : "Si ton frère devient pauvre, et que sa main fléchisse prés de toi, tu le soutiendras : tu feras de même pour celui qui est étranger et qui demeure dans le pays, enfin qu'il vive avec toi. Tu ne tireras de lui ni intérêt, ni usure, tu craindras ton Dieu, et ton frère vivra avec toi. Tu ne lui prêteras point ton argent à intérêt, et tu ne lui prêteras point tes vivres à usure".


De ces versets, l'auteur de l'article retire les éléments suivants : premièrement, le Lévitique vise une situation où l'emprunteur se trouve en situation de mendicité. Deuxièmement, le texte semble distinguer l'intérêt de l'usure. Ce qui semble montrer une gradation dans le concept : l'intérêt semblant être la rémunération de l'argent et l'usure un intérêt excessif. (Nous verrons plus loin la signification de ces deux mots pour exprimer l'intérêt. Seul le texte hébreu pourra nous éclaircir). Enfin pour l'auteur, il n'y a pas d'interdiction générale du prêt à intérêt, mais un appel impérieux à la justice vis-à-vis de personnes juives ou non qui sont économiquement faibles. Laurent Lheriau nous cite aussi le verset du Deutéronome souligné plus haut par la pensée islamique et qui semble autorisé le prêt pour les non juifs. Néanmoins, l'auteur essaie de comprendre la logique des textes et la contradiction que nous observons. Pour lui le texte du Deutéronome ne peut être appliqué à la lettre. En effet, une interdiction générale du prêt à intérêt, empêcherait tout système de location, de prêt, de rémunération de l'argent, ce qui pour lui ne peut être la volonté du texte. Il explique alors la contradiction des textes par le contexte de la sortie d'Egypte qui est une économie de survie. Enfin nous dit-il, "une interprétation possible serait de ramener l'interdiction du prêt aux règles régissant la vie civile des individus à l'exclusion des pratiques liées à la vie économique". Bien qu'il en soit louable nous ne pouvons être en accord avec toutes les conclusions, puisque l'auteur semble ignorer les Traités de Jérusalem et de Babylone. Néanmoins, celui ci touche un point essentiel que nous avons traité plus haut lorsqu'il explique la distinction entre juifs et non juifs, comme expression de la religion d'un peuple : "cette distinction que l'on trouve dans le Lévitique et le Deutéronome est le reflet de l'expression d'un système religieux national. La prétention à l'universalité n'intervient qu'avec le Christianisme et l'Islam".

Enfin pour en finir avec cette différence qui serait vue par certains comme l'expression d'un dédain du non juif, citons un grand maitre du judaïsme, Rabi Haim Benattar et son livre Or Ahaim (Lumière de la vie) à propos du verset 20 du chapitre 21 de l'Exode :

וגר לא תונה ולא תלחצנו כי גרים הייתם בארץ מצריים

"Et l'étranger tu n'opprimeras pas, car tu as été étranger en Egypte".

Pour Rabi Haim Benattar, il est interdit de contrarier un étranger sur ta terre, et de l'escroquer dans ses biens et son argent. Car pour l'auteur "Nous, lorsque nous somme sur notre terre, nous aussi nous venons d'étrangers qui sont venus d'Egypte".



© Richard Sitbon

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire